« But you know landscape is my mistress... »*
La peinture est une averse, shooter dit l’anglais, une ondée. J’aime ce mot désuet. Il est incongru, un peu flou comme cette toile, tachée de pluie. La peinture est une averse, elle surprend ; elle apparaît, elle est là, tout à coup inévitable. Ici, sur les toiles, elle crépite doucement sur les lames e l’herbe, sur les talus entre les mottes de terre grasse. Audible, invisible. Peinture pluie. On l’entend, on la perçoit, on la touche d’abord, avant de la voir. La peinture n’est pas la toile. Elle est plus grande, plus loin. Là, à côté, en nous. En toi, en elle. Elle tâche, c’est le moins, celui qui la traverse, mouillant la paume, les doigts, les joues de pigments détrempés. La peinture, cette peinture de Grégoire Hespel tire son magnétisme de cette météo changeante qui compromet le spectateur à son insu et l’entraîne. Quelque soit le format des tableaux, on suit sans réfléchir l’invitation qui nous est faite. On répond à l’instant à cette affabilité apparente. On va. Le pas fait, le brouillard nous entoure, estompant l’entrée : on est dehors. Tachée, oui, la toile est comme une lettre d’amour laissée sous la pluie. Les lointains semblaient proches mais chaque tableau les repousse un peu plus loin. Le pinceau c’est le vent. Tout se passe dans les touches à bords tremblés. Peinture fougueuse mais patiente qui va, revient. Elle lève les épaisseurs d’air mouillé, essore la pluie pour mieux y retremper la couleur. Larmes terre de Sienne, vert, noir, bruns des souches, argiles jaunes. Le peintre peint à même la rétine, à plein vent, la feuille, tenue d’une main, claque aux rafales qui bondissent comme des chiens. Que de précieuses indécisions annotées ainsi les unes à cotés des autres, les unes sur les autres et ui finissent par faire naître le monde visible. La peinture est toujours plus grande que le paysage. Il faudrait aller là, ou là, dans la suivante. Donnez moi ce pont ou ce ciel... « Lady Morley est venue hier. Elle s’est écriée en voyant la House : « Comme c’est frais, comme c’est humide de rosée, comme cela anime et end joyeux ! » Je lui ai dit que la moitié de ce qu’elle venait de dire, si je pouvais penser le mériter, valait toutes les paroles et tout le jargon sur les tableaux dans le monde. »
(John Constable, lettre à Charles Robert Leslie)
Qu’on se le dise.
Didier Goldschmidt. Février 2011
Né en 1973 à Paris, vit et travaille à Paris.
Il y a en ce moment au musée d ́Orsay une salle exclusivement dédiée aux dessins de Pierre Bonnard que l’on peut voir à l ́exposition “Vuillard/Bonnard”, au beau milieu d ́un ensemble de peintures et de pastels. Cette salle est riche d ́enseignements puisqu ́elle était vide de visiteurs lorsque Martin Basdevant et moi nous y sommes rendus la semaine dernière. Je veux dire que l’espace était déserté, que l’on fait manifestement un sort à cette part de son oeuvre. Pourtant, si Bonnard était un coloriste extraordinaire - la chose est entendue - il était peut-être un valoriste encore plus remarquable. Les charmes et les audaces de ses teintes ont agi, paradoxalement, comme l’arbre qui cache la forêt de son oeuvre en noir et blanc. Cependant que Matisse affirmait qu’un coloriste est reconnaissable à son emploi du crayon à papier sur une feuille. La chose est à prendre au sérieux. Regardez un fusain ou un pastel de Martin Basdevant, vous y reconnaîtrez l’or Nabi qu’il a su récolter avec une rare réussite, et qu’il aurait délicatement fusionné à un certain expressionnisme américain. Mais on remarquera aussi son inclinaison vers le sublime, sa fascination pour les grandes étendues d’une nature vierge, en particulier son plaisir à fêter le fourmillement topographique d ́un sol broussailleux, d’un chemin dans une vallée qui devient celui de sa peinture-même. Car ce dessinateur est un peintre. A la fois lyrique et intimiste, il a réussi à développer son oeuvre à l’abri du vacarme des klaxons, réactivant avec bonheur et singularité quelques beaux souvenirs pas encore tout à fait éteints par les musées. “Pour le peintre, il ne s ́agit pas de peindre le jamais vu, mais ce qui n’a pas été assez vu” écrivait Delacroix quelque part dans son journal.
Morgan BANCON, 12 février 2017